Têtu
Transidentité, cannabis… "Macron le moderne" semé par le chancelier allemand
"Olaf Scholz, ce chancelier que Macron ne comprend pas." Derrière ce titre, début mars, Libération faisait le constat qu'entre le dirigeant allemand, social-démocrate, et notre bon président, macroniste, le torchon brûle autour de la guerre en Ukraine. Rien de bien nouveau dans ce décalage : Angela Merkel non plus ne comprenait pas Nicolas Sarkozy. Le hiatus actuel ne devrait pas s'arranger après les dernières réformes de société engagées par la coalition du chancelier Scholz : pensez donc, la légalisation du cannabis ET le changement de genre à l'état civil sur simple déclaration ! À des années-lumière du tour donné par le Français à son second mandat présidentiel…
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Ainsi depuis le 1er avril, les adultes outre-Rhin ont le droit de détenir, consommer et cultiver du cannabis, dans des conditions limitées par la loi. L'Allemagne est le plus grand pays de l'Union européenne (UE) à avoir légalisé la beuh, avec l'une des lois les plus libérales d'Europe : la possession de 25 grammes de cannabis séché est autorisée dans les lieux publics, ainsi que la culture à domicile, jusqu'à 50 g et trois plants par adulte. De quoi ringardiser même les Pays-Bas, pourtant pionniers dans ce domaine, où la consommation de cannabis n'est pas légale mais tolérée ; de même, Malte a dépénalisé l'usage en 2021, et le Luxembourg l'an dernier.
Contre le cannabis, une guerre d'antanEt pendant ce temps, qu'entend-on de notre côté du Rhin ? "La drogue c'est de la merde", refrain des années 90 entonné à l'envi par notre ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui le lendemain de la légalisation allemande annonçait l'une de ses "opérations Place nette XXL" anti-drogue à Strasbourg, comme un pied-de-nez de boomer aux 1.500 personnes qui ont célébré, devant l'emblématique porte de Brandebourg à Berlin, la réforme dans les volutes de fumée de leurs joints devenus légaux.
Nos voisins, si souvent caricaturés en amoureux de l'ordre, auraient-ils soudain lâché la rampe ? Ou leur sens également connu du pragmatisme, si souvent érigé en vertu par Emmanuel Macron, leur aurait-il enfin permis de comprendre, comme tant d'États avant eux, que la guerre contre le cannabis était celle d'un autre temps, que les nouvelles générations ont bien le droit de préférer l'herbe à l'alcool, et surtout qu'une lutte efficace contre l'addiction ne saurait passer par la prohibition ? Nous avons déjà eu l'occasion de le dire, à têtu· : la guerre à la drogue a échoué, comme elle aurait échoué contre l'alcoolisme qui ravageait encore la France dans les années 60. Or la consommation des Français est tombée de 200 litres d’alcool par an à cette époque à 80 litres aujourd’hui, et sans interdiction ! En sortant le cannabis "de la zone taboue", a fait valoir le ministre allemand de la Santé, Karl Lauterbach, médecin de profession, "c'est mieux pour une véritable aide aux toxicomanes, pour la prévention auprès des jeunes et pour la lutte contre le marché noir".
Olaf Scholz vs. Emmanuel MacronLa coalition d'Olaf Scholz ne s'est pas arrêtée là dans les réformes audacieuses. Deux semaines plus tard, voici qu'elle vote la simplification du changement de genre, qui ne nécessite désormais qu'une simple déclaration à l'état civil. Une avancée réclamée par toutes les associations concernées, en Allemagne comme en France, et facile à mettre en œuvre. Chez nous, sur ce sujet, rien, silence radio. En 2022 pourtant, répondant aux questions de têtu·, le candidat Macron à sa réélection déclarait à ce sujet : "Les personnes qui s’engagent dans un processus de transition doivent être respectées dans leur choix et leur vie ne doit pas être rendue plus complexe par des procédures administratives si elles sont inutiles." Sur la légalisation du cannabis, en 2016, Emmanuel Macron ministre de l'Économie trouvait aussi à la légalisation "des intérêts" ainsi qu'une "forme d’efficacité" en termes de lutte contre le "financement de réseaux occultes".
"C’est ainsi que nous continuons à faire avancer la modernisation de notre pays."
Alors, qu'est-ce qui sépare aujourd'hui Emmanuel Macron d'Olaf Scholz ? Politiquement, pas un fossé, puisque les deux sont issus de la social-démocratie et à la tête d'un gouvernement également composé de libéraux… Et si le premier s'est notoirement éloigné de la gauche à l'exercice du pouvoir, il n'a jamais cessé de se proclamer réformateur et moderniste, "sans totem ni tabou" ; le disrupteur en chef a même nommé un Premier ministre de 34 ans, gay ! Las, la macronie n'a jamais été plus sépia que dans son acte deux. Le premier mandat nous avait apporté l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux femmes seules et aux couples de lesbiennes, l'interdiction formelle des "thérapies de conversion", la circulaire sur l'accueil des élèves trans à l'école. Le second nous pond un gouvernement composé d'anciens de la Manif pour tous et ne pense plus qu'à faire la police, évoquant même des tests salivaires sur les piétons pour détecter les consommateurs de cannabis…
Ce n'est pas non plus plus le contexte politique qui sépare les deux dirigeants. Les deux font face à une forte impopularité, ainsi qu'à une montée inquiétante de l'extrême droite. C'est sans doute dans la réaction à cette dernière donnée que réside l'alternative possible : se replier, céder le terrain aux populistes, flatter les instincts conservateurs quitte à nager à rebours de l'histoire, ou au contraire poursuivre vaille que vaille la marche du progrès. Le 12 avril, pour marquer la loi simplifiant les changement de genre à l'état civil, le chancelier allemand a tweeté : "Nous faisons preuve de respect envers les personnes trans, intersexuées et non-binaires – sans rien enlever aux autres. C’est ainsi que nous continuons à faire avancer la modernisation de notre pays. Cela implique de reconnaître les réalités de la vie et de les rendre légalement possibles." La différence entre l'auteur de Révolution et Scholz, c'est qu'Olaf choisit de mettre vraiment sa République en marche…
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googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Tobias SCHWARZ / AFP
édito | politique | Europe | Allemagne | Emmanuel Macron | gouvernement | drogue | prévention | transidentitésJeanne Mas : "J’ai eu plusieurs relations avec des femmes"
Interview Florian Ques & Maurine Charrier
C’est sa “Toute première fois” dans les pages de têtu·. Pourtant, nous, on a maintes fois terminé nos soirées au rythme de ses hits indémodables, “En rouge et noir” et "Johnny Jophnny" en top de playlist. Quand on rencontre Jeanne Mas dans un hôtel parisien près des Champs-Élysées, élégamment installée dans un fauteuil trop large pour sa menue silhouette, on aurait pu ne pas la reconnaître avec son pantalon en vinyle irisé et sa longue chevelure blonde recouverte d’un gros bonnet fuchsia. Où sont passés ses cheveux courts dynamités et ses tenues sombres empruntées au punk, les looks de ses débuts en 1984, qu’on lui connaît même si on n’était pas encore né ?
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À l'époque, sa mélancolie achevait de séduire les plus sceptiques, dont de nombreuses lesbiennes qui sont tombées raides dingues de cette chanteuse androgyne et torturée, cette "petite flamme noire, forte et souple, terriblement troublante", comme la décrit la revue gouine Lesbia en 1986, après avoir assisté à sa deuxième tournée au Palais des sports. "Le changement physique n’a rien à voir avec le changement intérieur, clarifie-t-elle aujourd’hui. Mon âme reste la même. Je n’aurais pas supporté de ne pas évoluer et d’arriver encore avec les cheveux en pétard et un maquillage très sombre." Quarante ans après ses débuts, son faible pour le noir s’est peut-être dissipé mais sa flamme, elle, demeure intacte.
- Dites donc, la Jeanne des tout débuts n’aurait jamais osé porter autant de couleurs !
Elle me dirait sans doute : "T’as mis un béret vert ?! Mais qu’est-ce que tu fais avec ton pantalon rose fluo ? Tu as osé !" (Rires.) Le noir protège, on passe incognito. À l’époque, j’avais besoin de cette protection, car j’étais jeune, je débutais… Un jour, je me suis mise à acheter des vêtements colorés. J’habitais aux États-Unis et là-bas, personne ne faisait attention à ce que je portais. En revenant ici, j’ai eu envie de prolonger cette différence en mélangeant les couleurs, les formes, les matières… Et je crois que ça me réussit. (Elle sourit.)
- Où sont passées les tenues rock de l’époque ?
Beaucoup sont chez ma mère. J’en ai jeté beaucoup d’autres parce qu’elles n’ont pas résisté au temps. J’avais voulu récupérer des shorts en me demandant si je rentrais encore dedans : illusion totale. (Rires.) J’ai essayé plus d’une fois de me refaire brune, mais ça me déprimait tout de suite.
- Avec vos chansons, votre assurance et vos looks, vous avez séduit une grande partie de la communauté lesbienne à l’époque. Vous en aviez conscience ?
Ah non ! C’est une surprise. On m’a toujours associé à l’homosexualité des garçons et pas à celle des filles. Mais c’est cool ! Ça me touche. (Elle paraît attendrie.) À l’époque, je ne me posais pas de questions, toutes mes copines en Italie étaient des filles qui aimaient les filles, donc j’ai été très immergée dans le milieu lesbien sans que j’y prête trop attention. Pour moi, c’était naturel. Je suis pour le droit d’aimer, point barre.
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- Votre titre “S’envoler jusqu’au bout” est identifié par beaucoup comme une chanson lesbienne mémorable. Elle s’appuyait sur une expérience perso ?
J’ai été inspirée en regardant mes amies. Mais moi aussi, j’ai eu plusieurs relations avec des femmes. Je les ai comptées l’autre jour, car il y a plein de choses que l’on zappe au fil de sa vie. (Rires.) Deux femmes ensemble, ça choque bien moins que deux hommes. Qu’une femme s’amuse avec une autre femme, ça peut même plaire à certains hommes. Un jour, l’un d’eux m’a dit : "Ouais mais bon, le sexe de l’homme, ça doit te manquer." Quelle prétention ! J’ai eu des expériences avec des femmes, mais je les voyais avant tout comme des êtres. Après c’est vrai que je suis née avec une attirance avant tout pour le mâle…
- Vous vous souvenez de la première fois qu’une femme vous a troublée ?
J’étais dans l’avion avec ma famille. Dans le siège à côté de moi, il y avait l’actrice allemande Nastassja Kinski, qui avait gentiment ramassé le joujou de ma fille. Je la remercie, je reste discrète. Et avant de sortir de l’avion, elle se retrouve derrière moi et elle me susurre à l’oreille : "J’adore ce que vous faites." Elle m’a tellement troublée, parce que j’ai senti son énergie, je suis rentrée toute chamboulée. C’est la première fois qu’une femme me troublait vraiment. Son énergie m’a pénétrée. Je ne pouvais pas lui laisser mon numéro parce qu’il y avait ma fille et mon compagnon, mais j’aurais beaucoup aimé. C’était une belle sensation, c’est un beau souvenir.
- Vous êtes souvent draguée par des femmes ?
Je ne sors pas beaucoup donc ça limite totalement les possibilités. (Elle sourit.) Mais non, je ne pense pas. Je me suis un peu détachée de tout ce qui est vie sentimentale.
- Par lassitude ?
Par choix. Celui de ne plus être perturbée par ce genre d’émotions et de me consacrer uniquement à mon travail et à ce qui me tient à cœur. Mais aussi par peur de moi-même, de ne pas être à la hauteur. Je choisis la solitude. Mon dernier compagnon, lorsqu’il est parti dans l’autre monde, je m’en suis voulue car j’ai été terriblement chiante juste avant. Il s’est fait renverser et j’avais peur qu’il soit parti avec de la tristesse ou des sentiments négatifs à cause de moi. C’est là que j’ai décidé d’en rester là. Si je dois revivre quelque chose, ça me tombera dessus par hasard.
- Pensez-vous avoir ouvert la voie aux nouvelles chanteuses de la scène francophone ?
J’ai entendu parler d’Angèle, de Hoshi, de Christine and the Queens… Mais artistiquement, je ne connais pas leur carrière. Dans les années 1980, il y avait des femmes androgynes, comme Annie Lennox ou Nina Hagen. On assumait notre personnalité. Peut-être que ça a ouvert des portes… Je ne m’en rends pas compte, je n’ai pas ce recul. Aujourd’hui, quand on me parle de ces jeunes artistes, je me dis que c’est la suite logique.
>> Jeanne Mas, en concert au Trianon, à Paris, du 27 février au 2 mars 2025.À lire aussi : Eurovision, racisme, parentalité… Rencontre avec Slimane, en couverture de têtu·
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit : JM Presse
interview | musique | pop | culture | magazine"Monkey Man" : Dev Patel puise dans la force trans pour son film de vengeance
C'est l'une des sorties les plus attendues de la semaine au cinéma : Monkey Man, premier essai ambitieux de Dev Patel en tant que réalisateur. L'acteur britannique tient aussi le premier rôle de ce récit de vengeance – un combattant de rue taiseux et déterminé veut venger l'assassinat de sa mère – qui se double d'une critique de l'Inde contemporaine : les inégalités sociales, la corruption, la montée du nationalisme religieux, etc. Mais surtout, dans sa quête de revanche, le héros, Bobby, trouve des alliées de taille : les hijras, communauté reconnue légalement en Inde comme un troisième genre.
Révélé par la série Skins, Dev Patel interprétait un jeune Indien musulman dans Slumdog Millionaire, sorti en 2008, qui dénonçait déjà frontalement les discriminations dans le pays. Dans Monkey Man, le héros, en mauvais état, est recueilli et soigné par une communauté de hijras. Ces dernières l'aident à se remettre d'aplomb pour reprendre le combat contre ses ennemis, qui sont aussi les leurs : les autorités corrompues (gourou, chef de la police, politicien).
Présentes aussi au Bangladesh et au Pakistan, les hijras vivent en collectivité, en marge, rejetées par la société. Fréquemment assimilées à des femmes transgenres, notamment parce qu'elles font état d'une expression de genre très féminine, elles peuvent aussi être non-binaires ou intersexes. Dans l'imaginaire religieux, elles sont associées à Ardhanarishvara, figure androgyne qui fusionne en un seul corps les divinités Shiva et Parvati, symbolisant ainsi l'association du féminin au masculin, surpassant la distinction des genres.
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Rébellion hijraLe film souligne l'importance de la convergence des luttes. "Ils se lancent ensemble dans une guerre pour le bien et la justice, souligne Dev Patel dans une interview tapis rouge pour Variety. Ce film est un hymne aux outsiders, aux marginalisés, à celles et ceux qui n'ont pas de voix. Je tenais vraiment à inclure la communauté hijra. On devrait se battre pour les autres, pas les uns contre les autres." Pour l'acteur-réalisateur, les notions d'identité et de genre sont devenues "rigides avec le temps" : "Quand on jette un œil aux anciennes gravures dans les temples indiens, la liberté, la sexualité, la philosophie… tout était en avance sur son temps. Je tenais à explorer ça et à l'inclure dans le film."
À l'écran, les hijras sont présentées comme des êtres apaisés, incarnations de la sagesse. Pour autant, le scénario ne les fige pas dans cette pure vertu, puisqu'elles prennent part à la rébellion menée par Bobby et prennent les armes pour combattre à ses côtés. Le message est limpide : quand les droits sont menacés, il faut se battre –parfois littéralement. Film d'action dans la lignée de la saga John Wick, Monkey Man réussit à délivrer un message politico-social, certes un peu convenu, mais pertinent dans son inclusivité.
>> Monkey Man, de Dev Patel. Au cinéma le 17 avril.À lire aussi : "Drive-Away Dolls", sur la route de l'humour lesbien
Crédit photo : Universal Pictures
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Un ado gay de 15 ans séquestré et tabassé à Grenoble, l'homophobie pas retenue
Décidément, la circonstance aggravante d'homophobie peine à être retenue par la justice française. Vendredi dernier, Le Dauphiné Libéré rapporte "le calvaire d’un ado passé à tabac dans une cave par une bande". Cinq adolescents, âgés de 14 à 16 ans, ont été interpellés jeudi 11 avril pour avoir contraint à les suivre et passé à tabac un adolescent de 15 ans. Bien que les premiers éléments de l’enquête font apparaître que la victime a été agressée pour son orientation sexuelle supposée, le caractère homophobe n'a pas été retenu à ce stade, fait savoir ce mardi à têtu· le procureur de la République de Grenoble.
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Les faits, décrits par Le Dauphiné Libéré, remontent au 4 avril. Vers 16h, alors qu'il se trouve dans la rue à proximité d'une des cités de la Villeneuve à Grenoble, l'adolescent de 15 ans fait la rencontre de cinq mineurs qui lui avaient déjà volé son téléphone portable, et qui l'intiment de les suivre pour le récupérer. Sur le trajet, le garçon est "frappé de plus en plus violemment, tout en étant abreuvé d’injures homophobes". Son calvaire se poursuit dans un lieu clos, "très probablement une cave" selon nos confrères du quotidien régional, où ses agresseurs le frappent notamment avec une barre de fer et le contraignent à donner le code de déverrouillage de son téléphone. Ils accèdent alors à des photos et vidéos dénudées du garçon, qu'ils diffusent sur les réseaux sociaux pour l'humilier. Ils contactent également la famille de l'adolescent, avant de finalement le libérer. Pour ses blessures physiques, la victime se verra prescrire quatre jours d'incapacité totale de travail (ITT).
L'homophobie pas retenue à ce stadeContacté par têtu·, le procureur de la République ne conteste pas la version des faits rapportée, ni leur gravité, mais explique avoir renoncé à retenir la circonstance aggravante d'homophobie. "S’agissant de la qualification homophobe des faits, le parquet s’est évidemment posé la question mais a fait le choix de ne pas la retenir à ce stade pour plusieurs raisons : absence de témoignage de tiers, dénégations de certains mis en cause, refus du principal mis en cause de répondre aux questions des enquêteurs", nous détaille Éric Vaillant.
Néanmoins, précise le procureur, "la qualification sera remise dans le débat lors de l'audience et le tribunal pourra éventuellement la retenir au vu des nouveaux éléments qui apparaîtront, notamment lors des débats". C'est en effet possible, et c'est d'ailleurs arrivé récemment dans une affaire de guet-apens homophobe à Paris. Pour l'heure, le principal suspect a été présenté devant le juge des enfants, qui l'a astreint à un couvre-feu et à un suivi éducatif jusqu’à son jugement prévu début juin, en même temps que celui de ses quatre complices présumés, pour violences en réunion.
Sollicité par têtu·, l'entourage d'Aurore Bergé, ministre en charge de la lutte contre les discriminations, fait savoir que "la ministre est horrifiée face à l'horreur et à la barbarie qu'a subies ce jeune adolescent de 15 ans. Le caractère homophobe de l'agression laisse malheureusement peu de doute". La Dilcrah (délégation interministérielle de lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT+) a apporté publiquement "tout [son] soutien au jeune gay séquestré et tabassé". Également interrogée par têtu·, la municipalité grenobloise renvoie à la réaction de l'adjointe écologiste à l'Égalité des droits, Laura Pfister. "Tout mon soutien à la victime. Cette agression s'inscrit dans un contexte d'augmentation des violences LGBTQIA+phobes en France", a réagi celle-ci sur X (Twitter), avant d'inviter "à participer massivement à la Pride du 1ᵉʳ juin à Grenoble". L'occasion d'exiger, une fois de plus, une réaction de la justice et des autorités à la hauteur des violences LGBTphobes
À lire aussi : Face à la circonstance aggravante d’homophobie, les errements de la justice
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Frédéric Bisson / Flickr
justice | LGBTphobie | violences LGBTphobes | fait divers | Auvergne Rhône-Alpes | newsL'interdiction des soins pour les mineurs trans temporairement validée aux États-Unis
Provisoire, la décision n'en est pas moins rétrograde. Ce lundi 15 avril, en attendant de se prononcer définitivement sur le fond, la Cour suprême américaine a pour la première fois autorisé un État, l'Idaho (nord-ouest des États-Unis), à interdire des traitements médicaux à destination des mineurs transgenres. Au total, dans tout le pays, plus d'une vingtaine d'États ont adopté des législations prohibant le traitement médical des mineurs trans, et attendent la jurisprudence définitive de la Cour suprême.
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En 2023, l'Idaho a voté le principe de poursuites pénales visant les professionnels de santé, qui risquent jusqu'à 10 ans de prison s'ils prescrivent à des mineurs des bloqueurs de puberté, des hormones ou pratiquent sur eux certains actes chirurgicaux. Et la loi d'ajouter un inventaire à la Prévert d'actes interdits aux mineurs, comprenant la mastectomie. Dès son adoption, la loi a été contestée devant la justice fédérale, laquelle a suspendu son application avant un recours devant la Cour suprême.
Une victoire du lobby réacCette semaine, la plus haute juridiction administrative a donc donné raison à l'Idaho qui demandait à pouvoir appliquer la loi en attendant la décision sur le fond. La décision de la Cour suprême accorde quand même aux deux plaignants mineurs de pouvoir bénéficier de bloqueurs de puberté et d'œstrogènes. "Il ne s'agit pas d'une décision sur la constitutionnalité d'une telle interdiction mais bien d'une position provisoire concernant une 'injonction universelle'", décrypte la newsletter spécialisée Law Dork, rappelant que "en décembre 2023, avant que l'interdiction de l'Idaho ne devienne effective le 1er janvier, le juge B. Lynn Winmill a mis fin à l'application de la loi grâce à une injonction préliminaire le temps du procès qui concernait l'entièreté de la loi et sur l'ensemble de l'État".
"Un résultat horrible pour les jeunes transgenres et leurs familles."
"Habituellement, des injonctions comme celles-ci sont circonscrites au nécessaire pour que les parties soient protégées. Dans le cas présent, le tribunal de district est allé trop loin en censurant l'entièreté de la loi dans tous ses aspects", justifie l'un des neuf juges à la Cour suprême, le conservateur Neil Gorsuch, cité par Law Dork. Ce qui ne rassure pas les associations LGBTQI+. "La décision d'aujourd'hui permet à l'État de mettre fin aux soins qui bénéficient à des milliers de familles et sème la confusion", déplore dans un communiqué l'association ACLU (Union américaine pour les libertés civiles), s'offusquant d'"un résultat horrible pour les jeunes transgenres et leurs familles".
Quant à Raul Labrador, le procureur général de l'Idaho, il n'a pas caché sa satisfaction, saluant une décision qui "permet à l'Idaho de faire respecter sa loi qui protège les enfants de procédures et traitements expérimentaux néfastes". Cette affirmation s'oppose à l'avis de plusieurs associations de médecins et personnels médicaux qui défendent des traitements au cas par cas, en fonction du bénéfice-risque pour l'adolescent, évalué de façon multidisciplinaire. En effet, dans les recommandations très complètes qui font référence, la World Professional Association for Transgender Health (Wpath) propose six critères indispensables avant de proposer à un adolescent un traitement ou une chirurgie d'affirmation de genre, parmi lesquels sa maturité cognitive et émotionnelle, une expérience de la transidentité constante dans le temps, des étapes avant d'envisager la chirurgie... Bref, une procédure particulièrement encadrée, contrairement à ce qu'affirme le lobby réactionnaire qui se vautre, aux États-Unis comme en France, dans les fausses informations concernant le traitement des mineurs trans.
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Wikimedia Commons
monde | news | États-Unis | transidentités | droits humainsRetour sur : "Saltburn", entretien avec un vamp queer
Amalgame de beau et de sale, Saltburn semble pensé pour faire parler. Le film a cependant du corps, et pas seulement celui de Jacob Elordi – le beau gosse de la série Euphoria, pour ceux qui l’ignorent encore. Nouvelle pépite de Prime Video, la surprise est grande quand on y trouve ce qu’on n’attendait pas : du cinéma. C’est aussi grâce à lui que "Murder on the Dancefloor", de Sophie Ellis-Bextor, a connu un retour de hype vingt-deux ans après sa sortie. Un phénomène, on vous dit.
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Après Promising Young Woman, portrait cathartique d’une jeune mante vengeresse, Oscar 2021 du meilleur scénario original, la réalisatrice Emerald Fennell nous dépeint ici une autre force de la nature. Oliver, joué par Barry Keoghan, frôle les murs de l’université d’Oxford avec son look de matheux. Après un monologue initial à la manière d’Entretien avec un vampire, l’objet de son désir est introduit : Felix (Jacob Elordi, donc), beau comme un ange percé à l’arcade (on est en 2006), a l’assurance et la désinvolture des aristos qui ne craignent rien. Pour accéder à lui, Oliver doit slalomer entre les richards de son entourage. Mais c’est quand il confie au beau gosse son histoire tragique de classe laborieuse que Felix, dans sa grande bonté, lui propose de venir passer l’été dans le château familial, Saltburn.
Un film (baig)noirDevant les vieilles pierres et les boiseries anglaises de la bâtisse gothique, nos yeux ne cessent de crier baguette ; mais pas vraiment celles de la saga Potter, même si les personnages imaginent Harry, Hermione et Ron dans un plan à trois – voilà pour la référence au roman d’apprentissage. Dans Saltburn, la campagne anglaise ne sent pas les pulls qui grattent. Elle sent le cul et le tabac froid. Elle est le terrain d’une lutte. Pas celle, éculée, entre les têtes d’ampoule et les cool kids. Non, c’est une conquête pour tout prendre, un stratagème pour tout avoir, avec pour seul vecteur la puissance du désir. Un désir fou. Entre bronzette et dîners, le jeu de Barry Keoghan devient rapidement aussi inquiétant que le monsieur Ripley de Matt Damon. L’étudiant guindé se métamorphose en Minotaure musculeux et membré, qui place ses pions dans un labyrinthe dont il est le centre… Un loup est entré à Downtown Abbey.
Du format 4/3 au grain de la pellicule, l’image rappelle nos vieilles VHS annotées au stylo bic. Cette fantaisie de forme frise quelquefois le maniérisme, mais n’est-ce pas aussi par la forme qu’un film devient celui d’une génération ? Quelques séquences sonnent comme une pub de parfum : match de tennis en smoking, raquette dans une main, Ruinart dans l’autre… Ces plans de modasse sont parfois contrebalancés par une composition de peintre romantique (quand la brume s’en mêle), parfois par des séquences dégueu-sexuelles, dont la fameuse scène de la baignoire, qui lancent les conversations sur internet et alimentent la page “pour vous” des réseaux sociaux. Saltburn singe une grammaire des années 1990 pour en faire un Sexe Intentions avec des qualités et expurgé du “male gaze”. Il s’adresse à nos désirs adolescents, carencés par tant de mises en scène de l’hétérosexualité dans les sexy-thrillers.
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>> Saltburn, d'Emerald Fennell. Disponible sur Prime Video. googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Amazon Content Services LLC
film | streaming | écrans | Amazon Prime Video | culture | pop culture | magazineTom Ripley, l'anti-héros queer parfait
Mais qui êtes-vous, Monsieur Ripley ? Tout en mystère et en faux-semblants, ce personnage aux multiples adaptations revient dans la série Ripley sur Netflix, réalisée par Steven Zaillian. Sublimée par son noir et blanc, celle-ci ravive notre attirance morbide pour cet homme amoral, manipulateur, escroc et meurtrier. Son interprétation par un acteur ouvertement gay, l'Irlandais Andrew Scott (vu dans le film Sans jamais nous connaître), renforce l'ambiguïté du personnage : ni hétéro, ni homo, Tom Ripley échappe aux étiquettes et redonne au terme "queer" sa signification première, à savoir un homme "étrange", "singulier", "à part".
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Thomas "Tom" Ripley est imaginé en 1955 par la romancière américaine Patricia Highsmith, qui en tire cinq thrillers. Sa sexualité, pour le moins trouble, entretient la fascination autour de ce manipulateur insaisissable. L’écrivaine distille, ici et là, de nombreux indices sur son éventuelle homosexualité, tout en le dépeignant comme un séducteur auprès des femmes. "Je ne crois pas que Ripley soit homosexuel, estimait-elle néanmoins dans un entretien accordé à Sight & Sound en 1988. Il apprécie la beauté des hommes, c’est vrai, mais il est marié. Et bien qu’il ne soit pas doué dans le domaine du sexe, il couche avec sa femme."
Alain Delon, Matt Damon et Jude LawDans le premier roman, Ripley s'insinue dans la vie de Dickie Greenleaf, attirant l'hostilité de la fiancée de ce dernier. "Marge pense que tu es une tapette, lui dit-il dans le premier roman. – Dickie, je tiens à mettre ceci au point, (…) je ne suis pas une tapette et je ne veux pas que quiconque imagine que j'en suis une", rétorque Ripley. Au bord du précipice, comme s’il venait d’être démasqué, il se défend d’être un “inverti” – le terme utilisé dans le récit. Dans l'adaptation de Netflix, cette scène intervient à la fin du deuxième épisode. Mais l’époque n’est plus la même : cette fois, Ripley ne dément pas et accuse la fiancée d’être jalouse. "Avant elle t’avait pour elle seule. Maintenant, elle doit te partager", souligne-t-il.
Au cinéma, l'ambiguïté qui entoure le personnage varie selon les adaptations. Elle est perceptible dès Plein soleil, de René Clément, sorti en 1960, notamment au détour d’une séquence lorsque l’escroc, interprété par Alain Delon, endosse les vêtements de Dickie – renommé Philippe pour les besoins du film. Il embrasse son reflet dans le miroir avant d’être surpris par son hôte, cravache à la main. La dimension homoérotique est à son comble avant d’être diluée, par la suite, dans le jeu de séduction entre Tom et la fiancée de son ami.
Chaque décennie connaît sa version du personnage : le cow-boy Dennis Hopper dans L’Ami Américain (1977), l’éphèbe Matt Damon dans Le Talentueux Mr. Ripley (1999), le dandy John Malkovich dans Ripley’s Game (2002) et le méconnu – car très oubliable – Barry Pepper dans Ripley et les ombres (2005). La version de 1999, d’Anthony Minghella, pousse le curseur gay encore plus loin. Les corps de Matt Damon et Jude Law, qui passent une grande partie de leur temps en slip de bain, sont de tous les plans. La tension explose tous les baromètres lors d’une partie d’échecs durant laquelle Tom Ripley demande à Dickie s’il peut le rejoindre dans son bain, ce que son ami refuse.
"Il fallait que le livre s’accorde avec notre temps et cela passe par l’attirance que Tom porte à Dickie, montrée de manière plus explicite", souligne alors le producteur, William Horberg, auprès de Vanity Fair. Certains détails ne trompent pas, comme cette scène où Tom Ripley tue l’un des personnages avec un buste de l'empereur romain Hadrien, dont l'histoire d’amour avec le jeune Antinoüs est bien connue (et l’objet des Mémoires d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar). Tout un symbole.
Selon Matt Damon, interviewé dans têtu· en mars 2000 à l’occasion de la sortie du film, la séquence qui révèle le mieux la sexualité du personnage est celle du club de jazz : Tom Ripley, dont la voix est couverte par la musique, y fait une subtile déclaration d'amour à Dickie. "C’est mon coming out dans le film”, estime l’acteur. Pourtant, cette attraction ne va jamais au-delà des regards et des sous-entendus.
L'autrice lesbienne et ses méchants codés gaysPour mieux comprendre Ripley, il faut s’intéresser de plus près à sa créatrice, Patricia Highsmith. Née en 1921 et morte en 1995, elle publie sous pseudonyme en 1952 son deuxième ouvrage, Carol, un roman lesbien semi-autobiographique avec une fin heureuse (adapté au cinéma en 2015 avec Cate Blanchett dans le rôle titre). À l'époque elle tente de "soigner" son homosexualité pour pouvoir se marier avec un homme – c'est un échec.
Si elle sort principalement avec des femmes, l’écrivaine a au cours de sa vie quelques relations avec des hommes, avec qui le sexe la dégoûte néanmoins, pour cacher son homosexualité tant au grand public qu’au milieu de l’édition. En Tom Ripley, elle trouve donc un alter ego obligé, comme elle, de se dissimuler sans cesse. D’après son biographe Andrew Wilson, il lui arrivait même de signer "Tom" à la fin de ses lettres.
De l’homophobie de l’après-guerre, l’autrice retourne la discrimination en faisant des méchants codés gays sa spécialité. Son tout premier roman, L’Inconnu du Nord-Express, publié en 1950, adapté au cinéma par Alfred Hitchcock, raconte comment une rencontre entre deux hommes dans un train se transforme en pacte criminel. Le personnage de Bruno, jamais explicitement décrit comme homosexuel, est bâti autour de nombreuses insinuations.
Mais Tom Ripley n’est pas un méchant codé gay comme les autres. En réalité, il ne rentre dans aucune case. Des décennies après sa création, il continue d’inspirer, à l’image de la série Netflix et du film Saltburn (2023), le thriller très chaud avec Barry Keoghan et Jacob Elordi, hommage direct au personnage de Patricia Highsmith. C’est là toute la force d’un anti-héros insondable, rendu éternel.
>> Ripley, de Steven Zaillian. Disponible sur Netflix. googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Netflix
séries | Netflix | cinéma | Queer coded | culture | écransDes mascus lesbophobes ruinent une projection au festival du film fantastique de Bruxelles
L'air était chargé en électricité saphique samedi 13 avril, alors que le Festival international du film fantastique de Bruxelles (Bifff) diffusait le tant attendu Love Lies Bleeding. Le nouveau film de Rose Glass, porté par le couple fictionnel Kristen Stewart et Katy O'Brian, est sorti le 8 mars aux États-Unis, mais – scandale – n'a toujours pas de distributeur en France. L'excitation fut pourtant de courte durée pour le public queer venu assister à ce moment d'anthologouine : une partie du public a multiplié les blagues obscènes, les insultes lesbophobes et les cris de dégoût pendant la projection. Le film a dû être interrompu et la police est intervenue après que des coups ont été échangés.
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Dès les premières minutes du film, ont raconté les témoins de la scène, a démarré le concours du mascu qui sortira la plus grosse connerie, le commentaire homophobe qui va bien, la pique sexiste cinglante, le tout arrosé d'une bonne dose de remarques scabreuses et de bruits de porc. "À tous les plans des voix (d'hommes) hurlaient des commentaires glaçants, sales, au mieux pas drôles", explique sur X (Twitter) un groupe d'amies venues spécialement pour l'occasion. Les cris de dégoût ou remarques graveleuses s'intensifient lors d'une scène lesbienne – "Elle aime ça la bite", "je la baise".
Un public queer frustré et en colèreUne partie du public quitte alors la salle. "Nous sommes sorti·es, à bout, épuisé, dégoûté et dépossédé d'un cinéma queer déjà si rare", déclare sur Instagram un autre spectateur. "On a essayé d'arrêter le film, assure le groupe d'amies sur X. On a manifesté notre rage, on a pas pu dialoguer avec une organisation qui ne nous entendait pas, (…) qui nous disait qu'on défendait mal notre cause."
LOVE LIES BLEEDING au @bifff_festival : la honte, notre colère (1/2) pic.twitter.com/B0iSCutW6z
— daddy_official 🇵🇸 (@EMmistymisssile) April 14, 2024
Dans la salle, les tensions continuent de monter entre les spectateurs haineux et le public queer resté sur place. Ce dernier tente de faire taire les commentaires et reçoit en réplique des "sale pute", "grosse connasse". S'ensuit une escalade de violences aussi bien verbales que physiques : "Des coups sont partis, on a séparé ou crié ou tapé aussi, détaille le spectateur sur Instagram. Et puis on s'est levé·es et on s'est cassé·es." La police a été envoyée sur place mais aucune plainte n'a été déposée.
Quand on lit les témoignages (ici @/nicky_lapierre sur insta), vous devriez avoir honte dâun tel mot « « « dâexcuses » » » ð«¥ð«¥ð«¥ https://t.co/Pi10MINYxT pic.twitter.com/AVukWoLNeb
— Loulou (@ArtComptant) April 14, 2024
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Les réactions spontanées et interactions entre les spectateurs font partie de l'esprit du festival, qui encourage l'expression et le partage. Mais l'organisation a refusé de réagir lors des heurts : elle "défendait encore et toujours 'l'ADN du Bifff’ (et tant pis si il y a dans cette ADN des gènes qui posent problème)", témoigne le groupe d'amies. Dans un communiqué de presse publié sur Instagram, le Bifff a présenté ses excuses au public : "Les événements qui se sont déroulés lors de la séance de Love Lies Bleeding sont inadmissibles et ne reflètent en aucun cas l'esprit libertaire du festival : les propos discriminants envers toute communauté n'ont et n'auront jamais de place au sein du festival, tout comme toute autre manifestation de violence morale et/ou physique pour exprimer son désaccord. Comme nous n'avons eu de cesse de le répéter, poursuivent-ils, 'humour toujours, mais respect avant tout'."
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googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : A24
L'Allemagne adopte une loi simplifiant le changement de genre à l'état civil
"Nous faisons preuve de respect envers les personnes trans, intersexuées et non-binaires – sans rien enlever aux autres. C’est ainsi que nous continuons à faire avancer la modernisation de notre pays. Cela implique de reconnaître les réalités de la vie et de les rendre légalement possibles", a tweeté le chancelier Olaf Scholz. Ce vendredi 12 avril 2024, les députés allemands ont adopté une loi simplifiant le changement de genre à l'état civil, étape majeure des droits LGBTQI+ en Allemagne et en Europe, après l'Espagne l'an dernier.
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Le texte, issu politiquement de la coalition de centre-gauche d'Olaf Scholz, a été voté au Bundestag, l'Assemblée nationale allemande, par 374 voix contre 251 (et 11 abstentions). Le Bundesrat – la chambre haute qui rassemble des représentants des régions – n'ayant pas à voter, la loi peut entrer en vigueur. Elle remplace une législation datant des années 1980 qui considérait la transidentité comme une maladie psychique, et qui avait été rejetée en partie par la Cour constitutionnelle.
Simple, basiqueDésormais en Allemagne, il suffira de remplir une déclaration auprès de l'état civil pour changer de prénom et de genre. Pour les mineurs de moins de 14 ans, les parents ou tuteurs devront effectuer la démarche, et les adolescents de 14 à 18 ans pourront le faire eux-mêmes mais avec l'accord de leurs parents. Un temps de réflexion est prévu : ce n'est qu'après trois mois que le changement sera validé dans l'état civil. Une demande éventuelle pour changer à nouveau de genre ne sera possible alors qu'après un an.
"Il était grand temps de remplacer les règles obsolètes et discriminatoires en matière de reconnaissance juridique du genre par une loi conforme aux droits humains", a salué dans un communiqué Claude Beier, d'Amnesty International, qualifiant cette réforme "d'étape majeure".
Sven Lehmann, le commissaire du gouvernement allemand à l'acceptation de la diversité sexuelle et de genre, a rappelé "les nombreuses souffrances" infligées par la loi transphobe précédente, rappelant, entre autres : "Des stérilisations, des divorces et examens psychiatriques." Et de conclure : "À partir d'aujourd'hui, tout cela est enfin fini." L'Allemagne rejoint en effet le club des pays européens qui ont adopté la liberté d'autodétermination, comme l'Espagne, la Belgique, l'Irlande, le Luxembourg ou encore le Danemark. Et en France, Aurore Bergé, c'est pour quand ?
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googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Anna Moneymaker / Getty Images via AFP
Europe | Allemagne | droits humains | droits LGBTQI | transidentités | newsPiche, Dua Lipa, Yseult, Girl in red… La playlist du week-end
Ambiance estivale pour le nouveau clip de Dua Lipa : la popstar invoque des sonorités pop 90's très Kylie Minogue pour "Illusion", morceau tubesque garanti de se glisser dans les meilleures playlists de vos prochaines soirées.
Yseult - "SUICIDE"Bifurcation anglophone réussie pour Yseult, plus glamour et torturée que jamais sur son nouveau morceau "Suicide", où elle assoit sans détour sa volonté de forger sa carrière à l'international – et le potentiel est 100% là.
PICHE - "OH MA PICHE"Révélée dans Drag Race France, notre gitane préférée Piche poursuit sa réappropriation des codes du rap avec "Oh ma Piche", petit tube sublimé par un clip mouvementé où l'on reconnaît quelques visages familiers…
NØNNE - "Pics"Anciennement connu sous le nom d'Éphèbe, Axel se réinvente avec son nouveau projet musical, NØNNE, dont on se régale du premier extrait : le titre plutôt rock "Pics", qui aborde la question de la dépendance médicamenteuse.
Liz Lauwrence - "Strut"Figure queer encore trop peu connue de la scène londonienne, Liz Lawrence nous servira bientôt son quatrième album solo dont ce nouvel extrait, "Strut", est un pur délice pour ceux qui approuvent son virage indie rock réussi.
Tinashe - "Nasty"Toujours cruellement sous-estimée, Tinashe ne cesse de redoubler d'efforts. Il n'y a qu'à zieuter "Nasty", son nouveau clip marqué par une choré impeccable et des paroles ouvertement sexy où elle se met en scène en quête d'amusement sans limite.
Girl in red - "I'm Back"Fini la "sad girl era" : notre bien-aimée Girl in Red souligne l'importance de prendre soin de sa santé mentale. Preuve à l'appui avec son nouveau single, "I'm Back", tiré son deuxième (excellent) album fraîchement disponible.
Superbus - "Baby Boom"Impossible de pas retomber amoureux de la voix de Jennifer Ayache en écoutant le nouveau single pop de Superbus, "Baby Boom", dont les paroles évoquent l'état du monde actuel où les divisions se font de plus en plus nombreuses.
DeserTGirlz - "P3nis de femme"En réaction au climat transphobe ambiant, le collectif DeserTGirlz s'empare des stigmates contre les femmes trans pour faire face avec second degré à leur détracteurs. Go girls !
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googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Piche
"Une forme d'espoir de guérison" : Romuald, le "patient de Genève" en rémission du VIH
- Pourquoi vouloir parler dans têtu· ?
Mon message premier est pour la communauté, qui a été décimée par le sida. Si mon exemple est difficilement réplicable, je souhaite tout de même incarner une forme d’espoir de guérison après une période qui a été si dure à vivre. Et puis c’est un beau magazine avec des articles de fond, de belles photos, de beaux garçons !
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- Quand avez-vous contracté le VIH ?
J’ai été infecté à l’âge de 17 ou 18 ans. J’étais en terrible manque d’affection de la part de parents qui, au fond, n’en étaient pas, avec une mère qui nous a abandonnés ma sœur et moi. Je traînais dans la rue, j’allais de bar en bar à Genève, en Suisse, et trouvais une espèce de nouvelle famille dans les bras des garçons. C’est ainsi que j’ai été infecté. À l’époque, je faisais du mannequinat, et mon agente était la seule personne à qui je pouvais parler de cela. Je me souviens très précisément de ce jour de 1990. Il pleuvait, je suis entré dans une cabine téléphonique pour l’appeler. Et je me suis mis à pleurer.
- Comment s’est passée votre prise en charge médicale à l’époque ?
Déjà, le médecin que j’ai trouvé m’a rassuré, et j’ai rapidement bénéficié d’antirétroviraux efficaces. Je n’ai donc pas eu à vivre la période de l’AZT, et à me réveiller en pleine nuit pour le prendre. Mon traitement n’occasionnait pas d’effets secondaires : je prenais simplement ces deux petits cachets par jour pour faire taire le VIH. J’ai pu continuer le mannequinat un temps, mais j’ai progressivement perdu la vue après un décollement de rétine et un glaucome, qui n’ont rien à voir avec le VIH. J’ai été opéré à de nombreuses reprises, ce qui fait que j’ai passé beaucoup de temps à l’hôpital. J’ai alors commencé à écrire des chansons que j’ai interprétées en Suisse.
- Quels rapports entreteniez-vous avec le militantisme antisida qui se développait ?
J’entendais parler d’actions impressionnantes et parfois radicales, mais mon handicap m’empêchait d’être militant. En revanche, j’ai voulu participer à des essais cliniques dès les années 1990. Aujourd’hui, on me prélève chaque mois une vingtaine de tubes de sang qui sont analysés par l’Institut Pasteur, à Paris. C’est un comble, mon sang voyage plus que moi !
- En 2018, après avoir constaté une grosseur dans le cou, vous apprenez que vous avez une leucémie…
Je suis un mille-feuille médical : une couche de ci, une couche de ça… Après un mois d’examens, on a découvert qu’il s’agissait d’un sarcome myéloïde, une maladie rare qui nécessite une greffe de moelle osseuse, sans quoi les médecins me donnaient à peine six mois à vivre. L’équipe médicale avait en tête les quelques patients séropositifs qui avaient guéri du VIH grâce à ce type de greffe, quand la moelle possède la mutation protectrice CCR5-delta 32. La transplantation qui m’était proposée ne la comportait pas, mais mon objectif était de survivre à cette leucémie, pas la disparition du VIH. Et il fallait aller vite. On a rapidement trouvé un donneur, compatible à 90 %, ce qui dans mon cas était plutôt faible. En parallèle de la greffe, j’ai fait des radiothérapies, des chimiothérapies… On a détruit toutes mes défenses immunitaires pour que j’en recrée de nouvelles. Semble-t-il que ce faisant, mon corps s’est attaqué aux cellules porteuses du VIH et les a supprimées. C’était très difficile, j’ai passé trois mois dans une chambre stérile que je ne connaissais pas : je me prenais les pieds dans les branchements et les perfusions, j’étais totalement déboussolé… C’est de savoir qu’à quelques mètres, dans une unité pédiatrique, des enfants luttaient comme moi contre la leucémie qui m’a donné du courage.
- Les cellules souches de la moelle osseuse ont modifié l’ensemble de votre organisme. Comment avez-vous vécu ce changement ?
Modifier mes cellules souches a également transformé mon groupe sanguin. J’ai aussi changé pendant quelques mois de couleur de cheveux, qui sont devenus bruns et frisottés, au lieu de blonds et ondulés. J’ai vécu ça comme une renaissance – d’ailleurs, comme le donneur est plus jeune que moi, on peut dire que j’ai rajeuni ! J’ai eu l’autorisation de le remercier dans une lettre, une seule, comme le prévoit la réglementation. C’est grâce à lui que je me réveille tous les matins, alors c’était très frustrant de ne pas pouvoir le remercier davantage. Ma manière de le faire, c’est de conseiller à tous de se renseigner sur le don de moelle [celui-ci peut se faire par don du sang, voir le site de don de moelle osseuse].
- Comment avez-vous pris la décision d’arrêter les antirétroviraux ?
Ma plus grande peur était que le VIH réapparaisse, mais ça n’a jamais été le cas. À force de prises de sang très poussées qui ne trouvaient plus de trace du virus, mon médecin m’a proposé d’arrêter mon traitement. Évidemment, c’était une décision très difficile à prendre, car je supportais très bien les antirétroviraux et ils représentaient un filet de sécurité. Mais tout arrêter permettait de faire avancer la science, et l’opportunité de savoir si j’étais guéri du VIH était très tentante. Je ne prends plus de traitement depuis le 16 novembre 2021 et on ne trouve toujours pas de trace de virus dans mon organisme.
- Aujourd’hui, quelle est votre relation avec les médecins ?
Le plus cocasse, c’est que je suis nosocomephobe : j’ai une peur bleue des hôpitaux. Mais j’ai trouvé des équipes formidables, pour qui j’ai beaucoup de respect. Je suis très heureux de les voir, comme celles de l’Institut Pasteur, à Paris, où j’ai pu rencontrer Françoise Barré-Sinoussi, la codécouvreuse du VIH. Imaginez que lorsque j’ai été contaminé, on n’en était qu’au début de la connaissance du virus, et aujourd’hui j’en suis guéri.
- Et votre vie sexuelle ?
Avant ma leucémie, j’ai beaucoup fréquenté les saunas, où j’ai été étonné de l’absence de prévention et des clients qui ne se protégeaient pas. Je perçois une forme de banalisation du VIH, comme s’il ne s’agissait pas d’une infection grave. Aujourd’hui, si je devais de nouveau avoir des relations, je ne serais pas tranquille. Je continuerais de mettre un préservatif, en plus de prendre la PrEP, par sécurité. Je suis un peu tétanisé : imaginez la tête de mes médecins si je revenais les voir avec un nouveau VIH !
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Tristan
interview | santé | VIH | magazineBDSM : oui, on peut être féministe et aimer se faire dominer
Photographies : The London vagabond et Yvelizra
“T’aimes ça, te faire baiser comme une chienne ?” Des sangles enserrent mes chevilles et mes poignets, une ceinture autour du cou, je ne peux contenir un rire nerveux. J’ai à peine le temps d’acquiescer que je reçois déjà un crachat et une gifle en pleine gueule. J’ai un peu mal, ça va laisser une trace. Est-ce vraiment pour ça que j’ai fait mon coming out ? Plus jeune, j’avais dû comprendre comment baiser comme une lesbienne d’après les quelques scènes de sexe de The L Word et de Lip Service – qui m’ont appris qu’on pouvait se mettre des doigts sans même enlever son jean, merci d’ailleurs. Et voilà qu’aujourd’hui, je me retrouve à la merci d’une grande Amazone prête à bouffer toute gouine soumise qui passe à sa portée, armée d’une cravache (la mienne) qui glisse le long de mes cuisses. La douleur qu’elle va y imprimer durera quelques jours…
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Puisque nous sommes entre filles, j’ai cru pendant longtemps qu’une relation de respect mutuel devait se traduire par des caresses et de la tendresse. Plus j’aimais, plus mes coups de reins se faisaient doux, plus mon désir se coulait dans un moule de bons sentiments. Et un jour une fille que j’aimais m’a brisé le cœur. Après deux heures à pleurer dans sa chambre étudiante, sans possibilité de rentrer chez moi en pleine nuit, je baisse les armes. Elle ne m’aime pas, mais elle a envie de moi. Mon cerveau est cotonneux, mais j’ai envie que nos corps s’entrechoquent une dernière fois sans retenue. J’empoigne ses cheveux courts, je mords son cou sans peur d’y laisser une marque, j’aspire sa peau à en rompre les vaisseaux. Fini les va-et-viens langoureux, je la sens rebondir sous la paume de ma main, je plante mes ongles dans sa chair, son dos, ses fesses. Je ne veux pas me venger, je veux qu’elle me sente, exister par elle, en elle, pour elle. Son lit devient trop étroit, elle m’étale sur le plancher et m’étrangle. À tout moment, on risque de terminer dans Faites entrer l’accusé. Épilogue : on a rempilé pour deux mois de plus – une erreur, mais je n’ai plus su baiser autrement. J’avais retiré le balai que j’avais dans le cul, remplacé par un plug. Désormais si je t’aime, je te partage mes perversions.
Voir cette publication sur InstagramUne publication partagée par @yvelizra
Océan, auteur de Dans la cage : une autobiographie socio-pornographique, considère que les pratiques BDSM répondent à un “besoin d’images en décalage avec ce qu’on vit” : “C’est à l’opposé de la baise premier degré où l’on est excité par ce que l’on vit à l’instant T.” Car, au-delà du décorum cuir et fouet, le BDSM, c’est cérébral : ça se pense, ça se discute, ça se soumet.
Mes désirs sont des ordres“C’est moi qui décide de perdre le contrôle, avance Chloé, 21 ans. Je vais établir clairement mes limites, exprimer mes désirs.” Tout ce qu’elle a à faire, c’est se concentrer sur son plaisir et endurer. Dans un tableau Excel, elle entre scrupuleusement l’intégralité de ses pratiques, de ses envies, du fist à la strangulation, et leur attribue un niveau de difficulté sur une échelle de 1 à 5, voire des commentaires : “mdr, non”, “bon courage”, “trop dangereux”, un grand “NON” pour les corvées domestiques (ça ne l’excite pas de faire la vaisselle), etc. Les adeptes les plus organisées s’échangent leurs tableaux comme d’autres leurs chartes astrales. Point pratique : ça permet de penser logistique et de prévoir les achats de plugs, de pince-tétons et de rouleaux d’adhésif.
Mais le BDSM n’est pas tant un ensemble de pratiques plus ou moins violentes qu’un rapport privilégié avec une autre personne. “Une fille qui va s’abandonner complètement dès le départ et être dans la soumission extrême ne va pas m’attirer, développe Yvelizra, 29 ans. Jusqu’à ce que tu puisses confier l’intégrité de ton corps à une tierce personne, la relation de confiance se construit. Il faut qu’elle soit totale pour accepter par exemple d’être attachée sur une croix de Saint-André [en forme de X].” Dominante et très à l’aise pour détailler ses pratiques préférées, Yvelizra se définit comme une leather dyke, une “gouine cuir”. Mais, précise-t-elle, le BDSM, c’est avant tout beaucoup de parlote : il faut discuter, échanger, se comprendre. Quand elle me cause “impact”, ça me parle, je sais ce que cela signifie (et surtout ce que ça fait…). “On discute beaucoup en amont pour créer un espace safe où l’autre sait qu’elle ne sera pas jugée”, confirme Calixte (prénom modifié). Rassurez-vous : pas besoin, non plus, d’imprimer un contrat comme dans 50 Nuances de Grey. L’avantage quand on est lesbienne, c’est qu’on a déjà une commu qui valorise la prise en compte de l’autre et de ses besoins. Et tant mieux, car un mauvais positionnement des doigts lors d’un étranglement ou un coup de fouet sur le bas des reins sont autant de faux-pas qui peuvent avoir des conséquences fâcheuses.
Il n’est d’ailleurs pas nécessaire de se faire violenter pour goûter aux joies du BDSM. “L’humiliation a mauvaise presse parce que si l’«impact» [entendez «les coups»] est plus impressionnant visuellement, l’humiliation est comparable à des montagnes russes de sentiments et d’émotions, souligne Calixte, qui adore ça, humilier des meufs. Quand tu te lances, tu ne sais jamais ce que tu vas trouver au bout du processus.” Au sortir de la session, il n’y a ni bleus ni bosses, mais ces émotions peuvent ressurgir plusieurs jours après, rendant d’autant plus important l’after-care : on se parle à nouveau gentiment, on peut aussi se masser, se passer de la crème, se faire un thé, enfin bref sortir des rôles endossés pour atterrir en douceur. Dans un cadre choisi, maîtrisé et rassurant, l’humiliation devient “savoureuse”, observe Océan. Les règles, le cadre permettent de confier les rênes de soi tout en gardant la main sur l’ensemble. “La soumission m’a appris à lâcher prise alors que je suis quelqu’un qui a besoin de tout contrôler, d’être décisionnaire, résume Chloé. Je vois ça comme une soupape, un exutoire.”
Humiliation et féminismeLa dernière fois que Calixte a pris le rôle de la soumise, c’est le mot “salope” qui a déclenché dans sa tête un torrent d’émotions. Explication : “Toute mon adolescence, on me ridiculisait parce que j’aimais le cul.” Or l’efficacité de l’humiliation s’appuie sur la proximité avec sa partenaire de jeu : elle sait sur quel point sensible appuyer. “Ça demande une plus grande intimité que de mettre une fessée”, s’amuse Calixte. Pour humilier, la brutalité est inutile. Mais la sadique traîne la patte, joue par une économie de gestes sur la frustration et taquine sa victime jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus, se moquant sans vergogne de son excitation, de son impatience. La personne est rabaissée, avilie, poussée dans ses derniers retranchements. “J’étais dans un tel état que j’ai fini par pleurer, se remémore Calixte. C’était un relâchement.” À ce moment-là, une pensée tourne en boucle : “Je suis dingue de laisser quelqu’un me faire ça alors que rien ne m’empêche de simplement me lever et partir. Sauf que je ne le fais pas, et c’est cette tension qui est folle.”
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Le truc, c’est que quand on passe ses journées à hurler “ni putes ni soumises” et que derrière, on brûle d’envie de se mettre à quatre pattes en se faisant insulter, on a vite l’impression de trahir ses idéaux. En tant que femmes, et qui plus est en tant que lesbiennes, on cherche justement à s’émanciper du patriarcat. “Même dans la commu, tout le monde n’est pas à l’aise avec le BDSM. Pour beaucoup, ça reste un ensemble de pratiques déviantes. C’est difficile de ne pas se questionner quand on se place volontairement dans une situation de soumission, admet Calixte. Mais en même temps, c’est excitant d’aller à l’encontre de ses principes. On sait qu’on ne devrait pas se faire marcher dessus, mais on s’autorise à se mettre à plat ventre.” Littéralement.
“C’est tout sauf féministe de nous dire comment on doit baiser.”
“Ce qui va être excitant dans le sexe, c’est ce sentiment de transgression, qu’elle soit réelle ou factice, théorise Océan. Il y a une certaine logique à y trouver de l’excitation.” Pour autant, est-il possible de liker toutes les stories de défense des TDS et, en même temps, d’insulter sa soumise préférée de “pute” ? Comment justifier de reproduire au lit la domination qu’on dénonce dans la vie ? “Se battre contre les oppressions des systèmes de domination et se faire plaisir au lit en les surjouant, c’est complètement compatible, assure Yvelizra. Quand tu te détaches de ce que tu es censée faire, des interdits, en particulier des désirs interdits, tu te rends compte que l’esprit est rempli d’idées complètement délirantes et étranges qui te titillent, t’excitent d’une façon inexplicable. C’est euphorisant.” Prétendre qu’on ne peut pas être féministe et kinky est à ses yeux simpliste et même contradictoire : “C’est tout sauf féministe de nous dire comment on doit baiser.” D’accord, mais est-ce féministe de me laisser dire comment on va me baiser ?
“La lutte qu’on mène au quotidien est fatigante, renchérit Océan. On s’en prend plein la gueule et à côté, en tant que féministes, queers, on est tout le temps exposées à la contradiction.” Quand on milite, doit-on pour autant se justifier en permanence de ce qui nous fait bander ou mouiller ? On kiffe se faire insulter ? flageller ? tenir en laisse ? Nos désirs font débat, chacun y allant de sa théorie : homophobie intériorisée, daddy issues, mère castratrice, tout y passe. “Ça ne fait pas de mal de prendre une pause”, souffle Océan. Cette bulle, hors de la sphère publique, “permet aussi de garder une forme d’individualité, de ne pas se résumer à sa militance”, soutient Chloé. S’il lui apparaît nécessaire de se déculpabiliser quant à la pratique, elle se refuse à dépsychologiser entièrement ses fantasmes de soumission pour pouvoir continuer à les interroger, les voyant même comme de “bons indicateurs de ce qu’il nous reste à déconstruire”.
“Dans le BDSM, on a un regard plutôt honnête sur le genre, la classe sociale, la race, l’âge…”
Calixte considère aussi le BDSM comme un terrain de jeu qui permet de questionner ses désirs sans les réprimer. La pratique de la soumission ne s’oppose absolument pas à l’analyse des rapports de domination, bien au contraire : “Dans le BDSM, on a un regard plutôt honnête sur le genre, la classe sociale, la race, l’âge…” Se faire humilier, d’accord, mais à condition que ce ne soit pas par une personne en position de pouvoir qui pourrait l’humilier dans la vraie vie. “On joue à la domination, mais entre deux femmes, il n’y a pas les mêmes rapports de domination systémiques qu’entre un homme et une femme, abonde Chloé. Quand une femme te traite de salope, elle connaît la portée du mot, elle-même se l’est déjà pris en insulte.” Cette forme d’égalité nous permet de retourner, de décortiquer, d’exploiter dans une optique sexuelle la domination que l’on vit toutes les deux. “Montrer mon sadisme, c’est un cadeau que je fais”, souligne ainsi Calixte.
À l’inverse, Mandy, bi et domina professionnelle, refuse de malmener une femme : ses clients sont uniquement des hommes. “J’aurais l’impression de m’humilier moi-même en dominant une femme, réfléchit-elle. J’aurais beaucoup de mal avec les insultes sexistes, par exemple, parce que je connais l’effet qu’elles peuvent avoir sur une personne. Je ne veux pas être le bourreau d’une femme.” Sur les hommes, en revanche, elle ne se prive jamais de leur faire expérimenter l’injure sexiste, comme pour assouvir sa soif de vengeance : “En marchant sur un pénis, en faisant du ballbusting (malmenage de couilles), je canalise dans une situation contrôlée un peu de la rage que j’éprouve à l’encontre du genre masculin”, détaille-t-elle. Mais même en dure à cuire qui affuble ses soumis de tutus roses et leur peinturlure le visage d’un maquillage criard, elle reste lucide : à la fin de la séance, ses clients retrouvent leurs privilèges en même temps que leur cravate.
Soumettre et punirNos fantasmes ne viennent pas de nulle part. Ce jeu de rôles entre la prof sévère et l’étudiante ingénue qui mérite une punition, d’où tire-t-il sa source ? “L’immense majorité des fantasmes découle du même système de violence organisée. Qu’ils prennent des formes en miroir ou en opposition à cette violence, ils s’organisent toujours à partir de ce centre”, peut-on lire dans l’ouvrage d’Océan. Il précise cependant que la pratique queer se place en dehors du schéma hétéronormé qui installe l’homme dans la position de dominant et la femme dans celui de la soumise : “On reprend le schéma traditionnel, que ce soit à travers une mise en scène, un scénario ou dans des roleplays (jeu de rôle). C’est pourtant forcément une reprise de pouvoir.”
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Certaines se contentent de pimenter leur vie sexuelle et de s’y défaire de leurs responsabilités du quotidien. Pour d’autres, il s’agit de “revisiter des traumas, des choses qui [les] ont marquées, angoissées”, poursuit l’auteur, qui a reçu une éducation féminine et a longtemps arpenté les milieux lesbiens. “Quand bien même tu n’y as jamais été directement exposé·e au premier degré, tu as senti cette menace permanente, cette potentialité de violences sexuelles, analyse-t-il. C’est un poids qui repose sur les épaules des enfants et des personnes sexisées, une angoisse à laquelle on est tellement habitué qu’on ne la voit même plus. Au bout d’un moment, il faut bien s’en libérer.” Ainsi, lorsqu’il les met en scène à travers des jeux qui convoquent la violence, il reprend le pouvoir sur une situation écrasante.
“En tant que lesbiennes, on revit parfois des humiliations verbales qui nous ont marquées. Le harcèlement scolaire, par exemple. Ça devient excitant de le revivre dans le roleplay”, complète Yvelizra. Quoi de plus grisant que de s’imaginer baiser la meneuse du groupe de pestes qui vous traitait de sale gouine à l’interclasse ? “Et cette fois, c’est safe, tu as choisi d’être là, tu as choisi quelqu’un avec qui tu te sens bien, et puis tu peux en sortir quand tu veux. Tu n’es plus l’ado du collège, tranche-t-elle, ferme comme elle sait faire. D’un autre côté, jouer le rôle du bourreau permet aussi de se voir dans la personne qu’on est en train d’humilier, à qui on inflige de la douleur, et de prendre conscience qu’on a pris des distances avec la victime qu’on était.” Pour Océan, se mettre dans la peau de l’agresseur, ce n’est pas se réconcilier avec lui mais avec l’impensable. Lui-même a conscience qu’il essaye de soigner dans cette pratique des traumatismes qui ne pourront sans doute pas l’être : “Ce n’est pas grave, relativise-t-il. Passer par le jeu, y injecter de la légèreté, de la joie, c’est déjà une victoire.”
“On met en place nos propres règles, on ne subit plus celles que l’on nous impose.”
“On met en place nos propres règles, on ne subit plus celles que l’on nous impose”, conclut-il. C’est clair pour Chloé : la façon dont on l’humilie lui appartient. Qu’importe qu’on lui tire les cheveux où qu’on la jette au sol, puisqu’elle seule donne les consignes. Elle ne peut toutefois s’empêcher de se demander si elle est capable de prendre la distance nécessaire pour préserver son ego ou si, en érotisant l’humiliation, elle n’en renforce pas les effets. Calixte, par exemple, a pris le pli d’exprimer clairement ses désirs et de poser ses limites. Les fessées, oui, les claques, non.
Et de relever au passage : “Certains moments sont intenses et très long. C’est important de pouvoir prendre une pause, de boire une tisane avant de se remettre dedans.” Qu’on se le dise, BDSM ne rime pas avec hargne et agressivité. Nous formons une communauté sensible et réfléchie, qui aborde la sexualité avec maturité et introspection. Bon, je vous laisse, maman m’appelle, c’est l’heure de ma fessée…
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); }); sexo | Nos vies queers | lesbiennes | fétichisme | magazinePiégé sur Grindr au Qatar : les proches de Manuel réclament son rapatriement
Il a été relâché mais il ne peut pas rentrer dans son pays, selon sa famille. Manuel Guerrero a été détenu pendant près de deux mois au Qatar après avoir été piégé par un faux profil Grindr tenu en réalité par des policiers. Porteur du VIH, cet homme gay mexicano-britannique de 44 ans pourrait bientôt se trouver à court de son traitement antirétroviral, alerte son frère, Enrique Guerrero, auprès de Advocate. Sa famille réclame qu'il puisse quitter le Qatar.
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Salarié de la compagnie aérienne Qatar Airways, Manuel Guerrero vit depuis sept ans dans l'émirat, où l'homosexualité est criminalisée. Fin février, l'ONG Amnesty International avait lancé une alerte exprimant sa "préoccupation concernant la détention de Manuel Guerrero en Qatar en raison de son orientation sexuelle". Pensant se rendre à un rendez-vous avec un garçon rencontré sur Grindr, dans la capitale Doha, Manuel était en fait attendu par la police qui l'a placé en détention provisoire le 4 février. Dans plusieurs pays arabes, les pièges tendus sur les applis de rencontre sont une technique utilisée par les autorités pour mener une chasse aux gays.
Manuel Guerrero attend son procèsEn apprenant son statut sérologique, les autorités qataries auraient placé Manuel à l'isolement tout en refusant de lui fournir ses antirétroviraux, rapportent nos confrères britanniques. Au cours de sa détention, "il a été contraint de signer de nombreux documents en arabe qu'il ne comprend pas. Il n'a pas eu d'interprète, ni d'avocat. Les ambassades n'ont jamais été informées par le gouvernement qatari", avait dénoncé Enrique Guerrero fin février auprès de l'AFP, pour appeler à une mobilisation internationale.
La pression a porté ses fruits puisque, comme l'a indiqué le ministère mexicain des Affaires étrangères cité par El Pais, Manuel, enregistré au Qatar comme citoyen britannique, a obtenu mi-mars la fin de sa détention provisoire et a été relâché en attendant son procès, qui devrait débuter le 22 avril. Selon le journal espagnol, il n’a toutefois pas encore été informé des accusations formelles qui pèsent sur lui : au moment de son arrestation, ses proches avaient rapporté qu'il était inculpé pour possession de drogue, sévèrement punie au Qatar, après que la police a selon son frère caché un quart de gramme de métamphétamine dans son appartement. Mais l'homosexualité est aussi criminalisée au Qatar. "Il est dans une situation difficile car il ne peut pas travailler et le Qatar est un pays extrêmement cher. D'autant qu'il souffre de stress post-traumatique après la torture qu'il a endurée", dénonce son frère toujours dans Advocate.
"Qatar Must Free Manuel""L'État du Qatar ne fait rien pour qu'il puisse accéder à ses antirétroviraux. Son procès va certainement durer plusieurs mois et nous n'aurons pas assez de médicaments. Nous avons besoin du soutien du gouvernement britannique car nous devons rapatrier Manuel. La situation est très critique", alerte Enrique. "Nous apportons notre soutien à un homme britannique au Qatar", s'est contenté de déclarer le ministère des Affaires étrangères du Royaume-Uni.
Un porte-parole de Grindr a répondu à Advocate sur cette affaire : "Nous sommes indignés de ce qui arrive à Manuel Guerrero qui est contraint de rester au Qatar en raison de son orientation sexuelle et à qui l'on refuse sa médication contre le VIH. Nous avons conscience que dans certaines régions du monde, la police abuse des plateformes digitales comme Grindr pour cibler les personnes LGBTQI+. Pour soutenir nos utilisateurs au Qatar, nous avons posté des messages d'alertes de potentielles menaces dans la région. Nous encourageons nos utilisateurs à vérifier l'identité des personnes avec ils parlent via les appels vidéos avant de faire des rencontres." Sur les réseaux sociaux, le mot-clef #QatarMustFreeManuel a été lancé pour exiger sa libération du pays.
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googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Comité de soutien à Manuel Guerrero
monde | news | monde arabe | Qatar | GrindrJean-Luc Romero sur la fin de vie : "Aider quelqu'un à mourir est un acte d'amour"
Accélérer la fin de vie pour éviter la souffrance. À la demande d'Emmanuel Macron, le gouvernement a présenté ce mercredi 10 avril un projet de loi visant à ouvrir la possibilité d'une "aide active à mourir". "Ce n'est pas un droit nouveau, ce n'est pas non plus une liberté", mais plutôt "une réponse éthique aux besoins d'accompagnement des malades", a déclaré Catherine Vautrin, ministre de la Santé, à la sortie du Conseil des ministres. Le projet de loi prévoit que l'aide à mourir sera déterminée par un cadre strict, réservé aux personnes majeures, résidant en France de longue date et en mesure d'exprimer clairement leur volonté. Seront éligibles à une prescription les patients atteints de souffrances intolérables et impossibles à traiter, et dont le pronostic vital est engagé à court ou moyen terme, c'est-à-dire moins de 12 mois, a précisé la ministre. Le texte sera examiné à l'Assemblée nationale à partir du 27 mai.
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Cette réforme bioéthique est portée depuis les années 1980 par l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Jean-Luc Romero-Michel, son président d'honneur, par ailleurs adjoint à la mairie de Paris en charge des discriminations, rappelle dans un livre, Le Serment de Berne, de la mort solitaire à la mort solidaire, à quel point ce combat est lié au militantisme contre le sida : lui-même a vu mourir son compagnon dans la douleur, sans pouvoir lui venir en aide.
- Quand devenez-vous militant pour le droit de mourir dans la dignité ?
Jean-Luc Romero-Michel : La mort de mon compagnon, Hubert, en 1994 m'a ouvert les yeux. L'année suivante, j'ai créé l'association Élus locaux contre le sida, alors que tous les activistes mouraient les uns après les autres. Je forgeais ma conscience sur l'euthanasie, mais je n'étais pas encore militant. En 1983, l'appel de Denver [une charte du militantisme contre le sida qui fait des malades non pas des patients mais des acteurs de leur propre santé] a été capital car il posait comme base de pouvoir "mourir – et VIVRE – dans la dignité". C'est à peu près à la même époque [1980] que naît l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), car cette revendication est alors particulièrement stigmatisée.
- Comment aviez-vous rencontré Hubert ?
En 1983, j'avais 24 ans, nos regards se sont croisés au Bar homosexuel, c'était un coup de foudre total. Hubert : grand brun toujours en veste de cuir, jean et tee-shirt blanc… On s'est observés de loin pendant plusieurs jours, et il m'a finalement adressé la parole avec son accent alsacien sexy et m'a proposé d'aller chez lui. Je suis immédiatement tombé amoureux. C'était passionnel, on s'appelait dix fois par jour, c'était quelqu'un avec énormément de charisme, beaucoup plus mature que moi.
- Comment avez-vous appris qu'il était porteur du VIH ?
Il avait souvent des pépins de santé, mais il me disait qu'il avait fait un test VIH qui lui était revenu négatif. En réalité, comme beaucoup à cette période – et toujours aujourd'hui –, il était mort de trouille à l'idée de faire ce test qu'il n'avait jamais fait. Il a fui le virus jusqu'à être victime d'une pneumocystose, une infection opportuniste qui touche les personnes immunodéprimées. Finalement, c'est à l'hôpital qu'il a été détecté séropositif. J'ai dû appeler ses parents, qui ne savaient pas qu'il était gay et encore moins qu'il était séropositif.
“Aider quelqu'un à mourir est un acte d'amour.”
- Hugues vit avec le VIH pendant 18 mois avant que sa santé ne décline fortement. Comment se sont passés les derniers moments ?
Alors que je le suppliais de ne pas le faire, Hugues est allé fin 1993 en Alsace, auprès de sa famille, qui s'occupait de lui malgré un énorme tabou sur le fait qu'il était malade du sida. Il a été opéré des yeux dix jours avant sa mort, les médecins étaient persuadés que ça ne lui occasionnerait que des souffrances inutiles mais sa famille insistait, et lui-même ne voulait pas leur faire de peine. Je suis venu le voir, comme chaque semaine, le dernier week-end avant qu'il ne meure le lundi.
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });La souffrance lui faisait dire des horreurs, lui qui était d'habitude si gentil. Il me hurlait de lui procurer de la morphine, sachant très bien que cela le tuerait, et je suppliais les infirmiers et les médecins de lui en fournir. Mais ils refusaient, arguant qu'ils ne pouvaient pas précipiter sa fin. Tout le monde savait qu'il allait mourir quelques heures plus tard dans une souffrance incommensurable, mais personne n'acceptait de le soulager. J'étais en colère et dans l'incompréhension la plus totale qu'on refuse de lui apporter une telle aide....
Stand-up : Louis Cattelat soigne ses mots
"Paroles, paroles…" Louis Cattelat aime bien Dalida, mais le nom de son premier seul en scène, Paroles paroles, est à prendre de façon plus littérale : l'humoriste de 27 ans aime les mots – ceux que l'on dit, ceux que l'on fuit – et leurs pouvoirs. "J'ai toujours du mal avec le titre, avoue-t-il, mais on m'a beaucoup dit qu'il était facile à retenir." Chaque jeudi, au théâtre du Marais dans le IIIe arrondissement de Paris (qui accueille aussi le spectacle de Lolla Wesh), il raconte son parcours, "les études de lettres et la précision du langage" d'un côté, "l'histoire personnelle d'une grande famille de taiseux" de l'autre, avec en plus quelques touches de sa vie de jeune gay.
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Dans ce one-man-show efficace s'entrelacent anecdotes familiales, leçons de vie et souvenirs de plans cul foireux. "Je fais des vannes un peu pédagogiques pour les hétéros dans la salle car j'ai envie qu'ils viennent, explique Louis Cattelat. Mais si quelqu'un a un problème, tant pis pour lui. Je ne vais pas me priver du florilège de blagues de cul possibles autour de mes expériences Grindr : c'est quand même un terreau très fertile ! Je peux faire une dizaine de spectacles seulement là-dessus."
Ayant grandi à Montpellier avec des parents "plutôt bourgeois", l'humoriste évoque une adolescence où parler de choses intimes ne fait pas du tout partie du quotidien. "Je viens d'une famille où on ne disait pas les mots «gay» ou «homosexuel». On n'en parle pas parce qu'on n'en a jamais parlé. Ça n'est pas venu à l'idée à mes parents que leur fils pouvait être gay. Alors que j'avais quand même demandé le château Mon Petit Poney à Noël quand j'avais 4 ans… Ce qui fait que j'ai mes vingt ans de placard en bonne et due forme !”
Humour gay fierPourtant, quand on le rencontre, Louis Cattelat se montre plutôt volubile et généreux – quoiqu'un peu intimidé, l'exercice de l'interview étant encore nouveau pour lui. Il revient sur son attrait pour les mots en dressant son curriculum vitæ : une prépa hypokhâgne, une licence en lettres modernes, ses études à la CinéFabrique de Lyon où il s'intéresse à l'écriture audiovisuelle, etc. "Mais je pense que la première fois que j'ai écrit quelque chose pour faire rire les gens, c'était des discours d'anniversaire ou de mariage, retrace-t-il. Je m'étais même spécialisé dans les discours de mariage auxquels je n'étais pas invité. Mes potes me demandaient d'écrire pour les témoins."
"Je suis encore atterré d'entendre en comedy club des blagues misogynes, ou le mot «pédé» utilisé comme une insulte."
Le stand-up vient plus tard, via le concours national d'humour Kandidator, qui se déroule entre autres au théâtre du Marais. "Mon frère voulait y participer, et il m'avait demandé de lui écrire des blagues, explique Louis Cattelat. Il me disait que j'étais plus drôle que lui mais qu'il avait plus de charisme et que, par conséquent, il valait mieux que ce soit lui qui monte sur scène. Sauf qu'il a complètement abandonné l'idée. Par contre, dans ma tête, elle a fait du chemin." Chemin qui le conduit à remporter l'édition 2022 de la compétition. Depuis, l'humoriste participe à quelques scènes ouvertes – essentiellement pour nourrir sa page Instagram – mais se focalise surtout sur son spectacle, qui a d'ailleurs été prolongé.
Louis Cattelat aime les mots… mais pas toujours ce qu'on en fait. "Je trouve que le stand-up est en retard sur plein de choses et je suis encore atterré d'entendre en comedy club des blagues misogynes, ou le mot «pédé» utilisé comme une insulte, déplore-t-il. Tu ne peux pas tout dire sous prétexte que c'est une blague. Faites des blagues sur les gays ou les lesbiennes mais faites-les bien. On n'est plus dans les années 1990." Dans cette perspective, blasé par de mauvaises expériences passées, il refuse désormais de partager la scène avec d'autres stand-uppers à l'humour discriminant. Et si les mots ne suffisent plus, il pourra toujours se reconvertir en sosie de Tom Holland. "Ça ne me saute pas aux yeux mais on me la sort plusieurs fois par mois", conclut-il dans un (faux ?) soupir.
>> Paroles paroles, de Louis Cattelat. Chaque jeudi jusqu'au 23 mai au théâtre du Marais, à Paris.À lire aussi : "Drama Queen" de Mahaut Drama : un stand-up tout en paillettes et politique
googletag.cmd.push(function() { googletag.display('div-gpt-ad-1621434471533-0'); });Crédit photo : Jill Salinger
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